«Il n’y a pas d’isolement sensoriel», selon l’Administration pénitentiaire El Hadj Omar Top avait beaucoup fait parler de lui pendant trois jours de février, au gré d’une évasion mouvementée de la prison de Moulins. Il est écroué depuis à Fleury-Mérogis, dans un «quartier d’isolement» dont il dénonce la «torture blanche, invisible en apparence, qui stigmatise le corps au plus profond de l’être». A trente ans, El Hadj Omar Top n’est certes pas un enfant de chœur. Fiché au grand banditisme, il a été condamné pour des vols à main armée, pour association de malfaiteurs, pour violences contre agent de la force publique… Son casier judiciaire mentionne notamment une condamnation à dix ans de prison pour des faits qui remontent à l’année 2002: le jeune homme avait tiré à la kalachnikov sur des policiers, lors d’un contrôle routier en Seine-Saint-Denis (son arme s’était enrayée; aucun fonctionnaire n’avait été blessé). Aussi lourd soit-il, le passé criminel de l’intéressé n’est pourtant pas au cœur de son placement à l’isolement. C’est plutôt son obstination à s’évader (de la prison de Clairvaux en 2007, du palais de justice de Paris puis d’un commissariat parisien en 2004) qui tend à agacer les autorités. Avec une dernière cavale fortement médiatisée, à la mi-février. Les deux «évadés de Moulins», El Hadj Omar Top et Christophe Khider, «réputés dangereux», étaient sur toutes les radios. Ils avaient pris en otages des surveillants de prison, puis un automobiliste et son fils, afin de «couvrir» leur fuite. Ils avaient finalement été arrêtés dans le Val-de-Marne, au terme d’une fusillade avec les policiers (l’événement avait inspiré un billet à Dominique Conil, ici sur Mediapart, qui explorait le lien entre le désespoir des «longues peines» et la violence des évasions). A présent, El Hadj Omar Top rend public un texte qui l’inscrit dans la foulée des pourfendeurs (Roger Knobelspiess, Michel Vaujour…) des «quartiers de haute sécurité» de sinistre mémoire. Son témoignage porte sur le mois et demi qu’il a passé au «mitard» de Fleury-Mérogis et sur la «procédure d’isolement» qui lui est imposée depuis le 3 avril. Compte tenu de sa«détermination à tout mettre en œuvre pour [se] soustraire à la garde» de ses geôliers, l’administration pénitentiaire justifie la mesure d’isolement comme «l’unique moyen d’assurer la sécurité des personnes, l’ordre au sein de l’établissement et de prévenir toute velléité d’évasion de [sa] part». Même à l’isolement, un détenu a le droit d’écrire à son avocat.«Salut Pierre (…), Je t’envoie un texte à publier dans les journaux», a indiqué El Hadj Omar Top à Me Pierre Lumbroso, en lui joignant son témoignage. Le détenu a d’abord été placé dans le quartier d’isolement du bâtiment D2 (flambant neuf, après des travaux offrant notamment une douche par cellule, des caméras partout et des portes automatiques) de Fleury-Mérogis. Puis il a été transféré dans le quartier similaire du D3 qui est, lui, représentatif du délabrement de cette maison d’arrêt inaugurée en 1968 et restant le plus grand centre pénitentiaire d’Europe. «Il n’y a pas d’isolement sensoriel», selon l’Administration pénitentiaire Plus de 400 détenus sont placés à l’isolement El Hadj Omar Top avait beaucoup fait parler de lui pendant trois jours de février, au gré d’une évasion mouvementée de la prison de Moulins. Il est écroué depuis à Fleury-Mérogis, dans un «quartier d’isolement» dont il dénonce la «torture blanche, invisible en apparence, qui stigmatise le corps au plus profond de l’être» Aussi lourd soit-il, le passé criminel de l’intéressé n’est pourtant pas au cœur de son placement à l’isolement. C’est plutôt son obstination à s’évader (de la prison de Clairvaux en 2007, du palais de justice de Paris puis d’un commissariat parisien en 2004) qui tend à agacer les autorités. Avec une dernière cavale fortement médiatisée, à la mi-février. Les deux «évadés de Moulins», El Hadj Omar Top et Christophe Khider, «réputés dangereux», étaient sur toutes les radios. Ils avaient pris en otages des surveillants de prison, puis un automobiliste et son fils, afin de «couvrir» leur fuite. Ils avaient finalement été arrêtés dans le Val-de-Marne, au terme d’une fusillade avec les policiers (l’événement avait inspiré un billet à Dominique Conil, ici sur Mediapart, qui explorait le lien entre le désespoir des «longues peines» et la violence des évasions. «Ce régime brise les individus qui le subissent» Sa «déclaration», El Hadj Omar Top l’a rédigée à l’intention «du garde des sceaux et des humains qui la liront». Il y réclame «la fermeture sans condition des quartiers disciplinaires et des quartiers d’isolement» (les trois pages du document sont à lire sous l’onglet Prolonger). Le prisonnier détaille «les tortures de l’isolement sous toutes ses formes et selon toutes ses durées [qui]ne conviennent plus à des sociétés civilisées au XXIe siècle». D’après son récit, «les enchaînements aux pieds et aux mains allongés sur un lit sont monnaie courante. Des dizaines de surveillants avec des combinaisons de CRS et des boucliers promènent les détenus avec une laisse pour chien, attachés aux pieds et aux mains». L’ensemble «fait perdre toute notion spatio-temporelle. Ce régime brise les liens familiaux, sociaux, et les individus qui le subissent. On ne voit jamais d’autres détenus», dénonce M. Top. L’un de ses avocats, Me Pierre Lumbroso, complète le tableau, sur la base des entretiens avec son client: «A l’isolement, El Hadj Omar Top a eu interdiction de communiquer avec les surveillants et il n’a pu voir aucun détenu. Quand il a été extrait pour rencontrer un juge, on lui a entravé les pieds et les mains, on lui a bandé les yeux.» Me Lumbroso précise que son client tente par tous les moyens de rompre cet isolement. Pendant une période, il s’est ainsi «mis tout nu» et a répandu «ses excréments partout»dans le but d’«entamer un dialogue avec un psychologue ou un médecin». «D’après les psychiatres, lorsque le langage est interdit, les capacités cérébrales diminuent, relève El Hadj Omar Top dans son témoignage (cette photo a été prise en 2005 à la prison de Clairvaux). Sans l’expression, on intériorise sa souffrance qui ne trouve d’exutoire qu’à travers des gémissements, pleurs et hurlements, qui hantent les nébuleuses pénitentiaires. On entend notamment les cognements des têtes contre les murs, les portes et les fenêtres.» Avant d’accuser: «Cette atmosphère invivable est créée pour terroriser. Toutes les trente minutes, un projecteur réveille [le détenu] avec le bruit de l’œilleton du voyeur [le surveillant]. Les rires des gardiens ne cessent pas de la nuit, avec le sondage des barreaux qui sont tapés violemment avec des barres en fer matin et soir, avec le claquement des verrous, portes et loquets. Cette torture par le bruit et la lumière pour empêcher de dormir était pratiquée pendant la guerre d’Algérie et constitue une incitation au suicide.» Le numéro d’écrou 371.640 précise aussi que «les mises à nu et les brimades quotidiennes sont imposées avec des accroupissements en toussant, des ordres de se passer la main entre les fesses». Plus loin: «On humilie avec quatre mises à nue[imposées] par jour avec un rituel de pantin qui consiste à lever les bras, ouvrir la bouche, tirer la langue, écarter les jambes et les soulever latéralement, soulever les pieds, se baisser et tousser, passer un doigt derrière ses lèvres et soulever ses parties génitales», sans oublier «des palpations brutales». A la direction de l’administration pénitentiaire (AP), on ne veut pas évoquer le cas précis d’El Hadj Omar Top. Mais le sous-directeur de l’état-major de la sécurité, Stéphane Scotto, a accepté de répondre plus généralement aux dénonciations. «Tous les détenus isolés voient des surveillants et des membres de l’encadrement, plusieurs fois par jour. Il n’y a pas d’isolement sensoriel», assure-t-il. A l’intérieur du quartier d’isolement, il leur est aussi possible de «rencontrer» les autres détenus isolés pendant les promenades ou les activités. Le même démenti global est opposé aux brimades dénoncées par El Hadj Omar Top, qui est bien connu des services depuis son inscription en avril 2003 au répertoire des détenus particulièrement signalés. «Le port des menottes et des entraves n’est pas nécessaire à l’intérieur des établissements, explique M. Scotto. C’est différent en cas de déplacement extérieur, en fonction de la situation de l’intéressé, par exemple s’il y a un risque d’évasion.» Sur les fouilles corporelles «intégrales», l’administration reconnaît qu’elles «peuvent être pratiquées» pour des raison de sécurité. «Si, un jour donné, un détenu a un parloir, plus une extraction [hors des murs de la prison] pour voir un médecin ou un magistrat, plusieurs fouilles peuvent avoir lieu», précise M. Scotto. La parole d’El Hadj Omar Top, confortée par son avocat, est évidemment difficile à vérifier sur place. Un quartier d’isolement constitue une prison dans la prison. Son récit correspond toutefois à de précédents témoignages. Il fait aussi écho aux dénonciations des organisations défendant les droits des prisonniers: «Pour la dignité humaine, il faut abolir cette violence barbare, institutionnalisée, préméditée et orchestrée scientifiquement pour écraser l’individu.» Des mots en écho à ceux de Ban public qui demande l’abolition des quartiers d’isolement et de l’isolement d’office, car ils constituent «une atteinte aux droits fondamentaux de la personne, bien au-delà de ce qu’implique la seule privation de liberté». Au sein de l’administration pénitentiaire (AP), on précise encore que «400 à 450 détenus environ font l’objet d’une mesure d’isolement» à une date donnée (et compte tenu des variations saisonnières). Seulement «un quart à un tiers» de ces mesures sont «prononcées d’office» – contre la volonté des prisonniers, donc – pour des raisons de sécurité ou de protection. Le restant concerne des placements demandés par les détenus eux-mêmes. L’ensemble est encadré par un décret de 2006. La dénonciation des quartiers d’isolement par le Conseil d’Etat avait contribué à la signature de ce décret. Voici résumé le cadre juridique qu’il a imposé: l’isolement peut être décidé par le chef de la prison concernée, pour une période de trois mois qui est renouvelable. La prolongation de six mois à un an dépend du directeur interrégional de l’AP. Au-delà de deux ans, l’isolement d’office peut être encore prolongé s’il constitue l’unique moyen d’assurer la sécurité des personnels ou de l’établissement. «Toutes les décisions sont motivées en droit, précise Stéphane Scotto. Les autorités judiciaires et médicales sont informées.» Certes. Mais sur ces points, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe avait trouvé «regrettable», en novembre 2008, que «les autorités [françaises] n’aient pas pris la décision d’autoriser les détenus concernés à accéder aux activités ordinaires de la prison et de limiter plus strictement la durée maximale d’isolement». Tout en saluant les «réformes d’envergure» entreprises dans l’Hexagone (avec le décret de 2006), le rapport du commissaire européen avait déploré que ce décret ait créé «une mesure d’isolement judiciaire qui est particulièrement préoccupante car elle est non susceptible de recours et peut être prolongée jusqu’à la durée maximale de la peine encourue». «Même s’il s’agit d’un combat vain, il faut le mener contre le mitard ou l’isolement, commente Me Pierre Lumbroso. Notamment face aux décisions unilatérales de l’administration pénitentiaire qui décide, sans contre-pouvoir, de placer les détenus à l’isolement.» L’avocat de M. Top souligne à ce propos que, le 23 mars 2009, les juges lyonnais chargés du dossier s’étaient prononcés expressément pour que son client ne soit «pas placé à l’isolement». A Fleury-Mérogis, El Hadj Omar Top exclut cependant la voie du suicide mais pas la mort… «L’emprisonnement est l’exclusion de la société, l’isolement est l’exclusion de l’espèce humaine. C’est une vengeance sournoise qui fait préférer le suicide à de nombreux jeunes que l’on retrouve pendus dans les cellules de cachot et d’isolement, immolés ou vidés de leur sang, empoisonnés ou asphyxiés par les fumées d’incendie, écrit-il. Afin de ne plus souffrir d’être isolé de mes frères humains, je préfère renoncer à vivre, à l’âge de 30 ans. En conséquent, je demande à Madame Rachida Dati que je sois euthanasié.» Avant même son évasion, et les condamnations qui suivront, la fin de la peine de El Hadj Omar Top était prévue au 8 mai 2021.